Beaucoup de personnes qui ne sont pas ou n’ont jamais été victimes de violences ou de relations toxiques (physiquement ou psychiquement) ont du mal à comprendre qu’une personne vivant cette situation puisse rester dans la relation. Bien souvent elles les jugent et vont même jusqu’à penser que « si la personne reste c’est qu’elle le souhaite ». C’est une parole terrible pour les victimes car ce n’est jamais le cas.
Si la victime porte plainte, on lui reprochera presque son silence ou qu’elle ait mis autant de temps à réagir. On la culpabilise encore plus alors qu’elle souffre déjà d’un immense sentiment de culpabilité inconscient qui la maintient dans cette relation de souffrance.
Pourtant, si la victime met tant de temps à rompre le silence c’est par peur ou par honte mais pas seulement, il y a aussi cette notion d’emprise qui la tient en laisse.
L’emprise c’est comme la partie visible de l’iceberg : on n’en voit que la surface émergée (les violences physiques, les homicides, etc.). Toutefois, si la personne sous emprise ne réagit plus aux coups c’est parce qu’en amont ces coups ont été préparés par de la violence psychologique. La victime a fini par s’habituer à être dénigrée, disqualifiée… elle qui souvent a déjà une mauvaise estime de soi.
Mécanisme de l’emprise
Elle s’établit avec le temps. Elle débute par une phase de séduction narcissique, une alternance de violences et de marques d’affection. Un brouillage s’opère : une alternance de mots “gentils” puis de dénigrements, et si vous réagissez, on vous reproche votre manque d’humour.
Ce brouillage a un effet direct sur le plan cognitif : il paralyse et affecte la personne. La victime perd son esprit critique et est complètement déstabilisée. Elle ne sait plus quand ni comment réagir sous peine de se voir encore culpabilisée. C ‘est là que la soumission progressive à son agresseur s’installe parce que ce mécanisme fragilise de plus en plus la victime. Cette dernière, sous emprise, va chercher du sens, des raisons de rester parce que le cerveau ne supporte pas cette dissonance cognitive : elle va se souvenir que des fois son agresseur sait aussi se montrer gentil.
L’emprise, c’est également un lavage de cerveau, un acte renforcé par un climat d’intimidations (des portes qu’on claque, des objets que l’on jette ou brise, un couteau avec lequel on joue) et de menaces (de mort , ou encore d’enlever les enfants, d’arrêter de verser de l’argent… voire de chantage au suicide).
L’isolement…
L’isolement est un autre mécanisme qui vient renforcer l’emprise exercée sur la victime, donnant ainsi à l’agresseur les pleins pouvoirs. Il isole progressivement la victime de sa famille, de ses amis, de son travail, de toute vie sociale. il critique tout tiers qui pourrait permettre à la victime de remettre en question cette emprise : « tu vaux mieux que ta famille, ils ne te méritent pas…». Des flatteries manipulatrices visant à mettre en valeur l’agresseur, et à ce que la victime rompe tout lien.
Cet isolement progressif renforce la dépendance de la victime devenue quasi totale. La violence, pendant ce temps, ne fait qu’augmenter et affaiblir la victime qui peine à reconnaître sa situation ou en tout cas s’en sent complètement coupable. De plus, inconsciemment, l’agresseur transpose sur sa victime son propre sentiment de culpabilité.
L’entourage n’ose pas s’en mêler de peur de mal interpréter une situation, d’avoir des ennuis ou d’en vouloir à la victime qui retourne à chaque fois auprès de son agresseur. En effet, l’entourage estime que si la victime ne part pas, c’est qu’elle ne le souhaite pas. Alors qu’en réalité, c’est surtout que cette dernière se sent prise au piège.
Du côté de la victime
Quand on est sous emprise, on ne se considère pas comme victime de violences, on est dans une forme de déni. Ce qui peut aider les victimes à en parler, c’est de trouver quelqu’un qui va apporter un point de vue extérieur. Certaines personnes prennent conscience de la violence quand elle se déplace sur leurs enfants par exemple.
Pourquoi la victime se soumet-elle ?
La soumission c’est aussi une stratégie d’adaptation afin de se protéger. En effet, la victime estime que si elle choisissait l’opposition frontale, elle ne ferait qu’aggraver la situation.
Elle essaye de négocier pour éviter que cela n’empire. On retrouve ce procédé dans les cas de harcèlement. La victime va essayer d’esquiver, de trouver une stratégie pour calmer son harceleur. On parle parfois de viol conjugal. Cependant, sous emprise, beaucoup de femmes disent que quand cela peut dégénérer, elles acceptent des relations sexuelles y compris des pratiques sexuelles qu’elles désapprouvent habituellement. Cela pour faire chuter la tension, la montée de la violence.
L’emprise est difficile à prouver et les victimes craignent qu’on doute d’elles.
L’agresseur peut aussi chercher à faire passer sa victime pour folle puisque souvent les choses se passent à huis clos. Sans témoins des violences psychologiques et/ou physiques subies par la victime, l’agresseur peut offrir un double visage qui discréditerait cette dernière. Ainsi, elle finit par se taire.
La victime n’a pas non plus toujours conscience des ses droits et que certains sont violés par son agresseur (confiscation des papiers, séquestration…).
Dans tous les cas de relations toxiques ou violentes, il est conseillé de monter un dossier pour se défendre. Il faut pouvoir réunir des éléments de preuve : demander des certificats médicaux, rassembler des témoins, conserver des enregistrements, des SMS.
Peut-on aider une personne sous emprise ?
Oui, il faut oser lui en parler. Ne pas être pressé pour ne pas l’affoler, l’aider à sortir du brouillard, retrouver son sens critique. Il faut l’aider à comprendre que ce qu’elle vit n’est pas normal, qu’elle peut s’en sortir.
La victime peut encore être dans le déni ou bien se méfier de cette personne qui prétend vouloir l’aider et craindre un piège et des sanctions de son agresseur. Parler avec douceur et patience permet de réussir à gagner sa confiance. Petit à petit en discutant avec la victime, on l’aide à se demande si ce qu’elle vit est son choix, si elle souhaiterait que ses enfants vivent cette même situation une fois adultes. Cela aide la victime à prendre conscience de sa réalité.
Peut-on sortir de l’emprise d’une personne ?
Cela prend du temps, la victime a besoin de soutien. L’accompagnement doit inclure les périodes de retour de la victime vers son agresseur, du fait même de cette emprise et donc ne doit pas décourager les aidants.
Au contraire, la victime s’entraîne par ces allers-retours à s’autonomiser : elle teste sa capacité, elle qui a été si souvent conditionnée.